Si je vous le disais pourtant, que je vous aime,
Qui sait brune aux yeux bleus, ce que vous diriez ?
L'amour vous le savez, cause une peine extrême;
C'est un mal sans pitié que vous plaignez vous-même;
Peut-être cependant que vous m'en puniriez.
Si je vous le disais, que six mois de silence
Cachent de longs tourments et des voeux insensés;
Ninon vous êtes fine, et votre insouciance
Se plaît, comme une fée, à deviner d'avance;
Vous me répondriez peut-être : je le sais.
Si je vous disais, qu'une douce folie
A fait de moi votre ombre, et m'attache à vos pas;
Un petit air de douce mélancolie,
Vous le savez, Ninon, vous rend bien plus jolie;
Peut-être diriez-vous que vous n'y croyez pas.
Si je vous disais, que j'emporte dans l'âme
Jusques aux moindres mots de nos propos du soir :
Un regard offensé, vous le savez, madame,
Change deux yeux d'azur en deux éclairs de flamme;
Vous me défendriez peut-être de vous voir.
Si je vous le disais, que chaque nuit je veille,
Que chaque jour je pleure et je prie à genoux;
Ninon, quand vous riez, vous savez qu'une abeille
Prendrait pour une fleur votre bouche vermeille;
Si je vous le disais, peut-être en ririez-vous.
Alfred de Musset