L'instant que l'on saisit n'est bientôt que poussière :
Pendant si peu de jours nous remplirons nos yeux
De la splendeur des bois, de la beauté des cieux,
Et pour si peu de temps nous verrons la lumière !
Ce qui fut ici-bas notre unique plaisir,
Un destin sans pitié nous le ravit encore :
Montagnes, maintenant le printemps vous décore,
Et je ne vous revois que dans mon souvenir !
L'air est plein de parfums, l'or des genêts éclate,
Et au fond des ravins montant jusqu'au sommet,
Le Dieu fol et rieur qui se réveille en mai
Conduit au sein de l'herbe un cortège écarlate.
L'eau des sources miroite aux pentes des vallons,
D'aigres concerts d'oiseaux remplissent le feuillage,
Et l'on entend filtrer de chaque paysage
Le cri continnuel et secret des grillons.
C'est trop longtemps porter le fardeau qui me blesse.
Heureux l'oiseau sauvage et l'homme en liberté
Qui s'enivrent de vent, d'espace et de clarté,
Tandis qu'entre ses murs étouffent ma jeunesse !
O montagne, ô fôrets, il eût été si doux
D'habiter dans votre ombre une pauvre demeure !
Que nous regrettons, à notre dernière heure,
Tant de matins perdus à vivre loin de vous !
Louis Pize